COMPTE RENDU DE L’ATELIER DE
SENSIBILISATION ET D’ECHANGES SUR LES PROBLEMATIQUES LIEES A L’ACCES A L’AVORTEMENT MEDICALISE
17-18
DECEMBRE 2015
HOTEL IRIS/
TOUBAB DIALAW
Un atelier de sensibilisation et
d’échanges sur les problématiques liées à l’accès à l’avortement médicalisé
s’est tenu les 17 et 18 décembre 2015 à l’hôtel Iris de Toubab Dialaw, en
présence d’une délégation de onze députés dirigée par le président de la
commission santé Monsieur Aimé Assine.
L’objectif général de l’atelier
était de contribuer à renforcer le plaidoyer pour la dépénalisation de l’avortement
en cas de viol, d’inceste ou de menace pour la santé physique ou mentale de la
mère.
Les objectifs spécifiques
consistaient à :
- Faire comprendre aux
participants les enjeux de l’avortement,
- Mieux outiller les membres
du gouvernement et du parlement pour soutenir l’adoption de la loi sur l’accès
à l’avortement médicalisé,
- Créer les conditions
d’appropriation de la lutte pour l’accès à l’avortement médicalisé.
Cet atelier de deux jours s’est
déroulé à travers deux séries de trois présentations suivies de discussions le
premier jour ; puis au deuxième jour une septième communication et le
projet de loi de la task force ont été présentés, débattus et suivis de
propositions de plan d’action, recommandations et prochaines étapes. La task
force regroupe 22 structures et associations luttant pour la défense de la
cause de l’avortement médicalisé
Ouvrant la séance, le président
de la commission santé a successivement donné la parole à Mme Soukeyna Ndao
Diallo de l’AJS puis au juge Abdoulaye BA, représentant du ministre de la
justice. Mme Diallo, après avoir remercié les parlementaires et les membres de
la task force, est revenue sur la nécessité de voter la loi sur l’avortement
médicalisé lorsqu’elle sera déposée à l’assemblée nationale. Le juge Ba a axé
son propos sur le fait qu’il faut éviter aux victimes d’abus sexuels (incestes,
viols) de porter des grossesses non désirées et préserver les bébés de la honte
dès leur naissance. Le président de séance a insisté sur le dilemme posé par
les discordances entre le protocole de Maputo ratifié sans réserve par notre
pays et nos textes juridiques que sont le code pénal et le code de déontologie
médicale. Il a clos son discours en revenant sur la nécessité de soulager les
victimes que sont les abusées et ceux qui naissent de ces actes d’abus sexuel.
Première communication :
Résultats de l’étude Guttmacher sur l’avortement provoqué au Sénégal (2013,
CRDH) par le chercheur Amadou Assane Sylla
Cette étude avait pour objectifs
d’estimer l’incidence de l’avortement, l’incidence et le traitement des
complications de l’avortement provoqué et les disparités entre les populations
de femmes. Cette estimation s’est faite de façon indirecte en recherchant les
complications liées à l’avortement et traitées dans les structures de santé. Les
principaux résultats trouvés par l’étude Guttmacher sont les suivants :
- En 2012, 51500 cas
d’avortements provoqués ont été recensés portant l’estimation à 17 pour 1000
femmes âgées de 15 à 45 ans (2%) ;
-
Dakar présente le plus fort
taux 23,5 pour 1000 contre 14,1 pour 1000 pour le reste du pays ;
-
55% des femmes qui se font
avorter ont des complications nécessitant un traitement médical ;
- 42% d’entre elles n’ont pas
de traitement adéquat (soins après avortement) et 23% n’ont pas de
traitement ;
-
Les femmes pauvres courent
les plus grands risques : 42% d’entre elles vivent en zone rurale et 32%
en zone urbaine.
L’incidence moyenne des
avortements à risque pour l’Afrique de l’Ouest est de 28 pour 1000.
Une des principales
recommandations de cette étude est d’assurer la disponibilité des soins post
avortements aussi bien en zone rurale qu’urbaine (équipements et prestataires
formés).
Deuxième communication :
les violences basées sur le genre, quelques statistiques par Mme Amy Sakho
Les deux boutiques de droit
(Guédiawaye et Médina) ont enregistré 250 cas de viol de janvier à novembre
2015 survenus chez des filles âgées de 3 à 18 ans, dont 52 suivis de grossesses
et 25 cas d’incestes.
Les statistiques de la direction
de l’administration pénitentiaire pour la prison des femmes de Liberté VI ont
permis de dénombrer sur 116 femmes incarcérées : 31 cas d’infanticide dont
16 effectués par des mineures. Le rapport 2014 de l’AJS/AFEMS/ Haut-commissariat
des droits de l’homme a révélé que sur 5 prisons visitées, l’infanticide était
la deuxième cause d’incarcération des femmes après le trafic de stupéfiants.
Mme Sakho a conclu en rappelant
que « la vie n’est pas que physique, elle est aussi psychologique ».
Ces deux premières présentations
ont été suivies de discussions ayant essentiellement tourné autour des points
suivants :
- Qu’est ce qui est entrepris
à l’endroit des violeurs, de ceux qui abusent sexuellement des fillettes et
jeunes filles ? ;
- Les problèmes
psychologiques induits chez le personnel de santé confronté à ces cas
récurrents ;
- Les carences de la
communication par rapport à la gestion de ces cas et l’hypocrisie au sein de la
société ;
- Les raisons du plus fort
taux de prévalence d’avortement provoqué trouvé à Dakar (enquête Guttmacher)
pouvant être liées à son poids démographique, à la forte concentration des
structures de santé et à la recherche de l’anonymat urbain.
Troisième communication :
l’environnement juridique de l’interruption de grossesse par Mme Soukeyna Ndao
Diallo
Au Sénégal sur cinq femmes qui meurent
chaque jour pour causes liées à la grossesse ou l’accouchement, une décède
suite à des complications secondaires à un avortement clandestin.
Les textes juridiques
internationaux et nationaux portant sur l’interruption de grossesse sont :
-
L’article 14 du protocole
de Maputo ratifié sans réserve par l’Etat du Sénégal et la CEDEF ;
-
Les articles 305 et 305 bis
du code pénal ;
-
La loi sur la santé de la
reproduction (articles 1er- 3 -9- 15) ;
-
Le code de déontologie
médicale (article 35).
La task force souhaite que :
-
L’avortement forcé et
l’avortement exécuté par une personne non qualifiée soit réprimée ;
-
L’abrogation de l’article
305 bis du code pénal et la modification de l’article 35 du code de
déontologie médicale ;
-
Le renforcement de l’accès
à la PF pour satisfaire les besoins en PF des femmes.
Mme Diallo a conclu sa
présentation par la citation suivante : « Si les femmes sont toujours
victimes et souvent auteurs des faits d’avortement, les hommes sont quant à eux
auteurs du fait GENERATEUR ».
Les discussions qui ont suivies
cette quatrième communication ont mis l’accent sur :
-
Les notions de viol
(qualification prononcée par le tribunal souvent après un délai assez long),
d’interruption de grossesse (possible sur la période très courte des trois
premiers mois de grossesse) et d’infanticide (interruption de la grossesse
au-delà de ces trois premiers mois de grossesse et à l’accouchement d’un enfant
vivant) ;
-
La difficulté d’avoir une
décision judiciaire en trois mois ;
-
La cherté du test d’ADN
(300000 F.CFA) ;
- La gestion des cas de viols
suivis de grossesse selon une approche multisectorielle avec l’implication des
secteurs ministériels devant défendre la cause de l’avortement médicalisé
(santé, justice, femme).
Quatrième communication :
les enjeux sociaux liés à l’avortement par Mme Penda Seck Diouf
Après trois récits de vie
poignants, les points abordés lors de cette communication ont porté sur :
-
La peur de la sanction
sociale, l’humiliation et la stigmatisation qui font que du point de vue
sociétale, il est important que cet enfant ne naisse pas et qu’il y ait interruption
naturelle ou volontaire de la grossesse ; le refus de porter le lourd fardeau à
vie de cet enfant qualifié de « haram » (impur) ;
-
La problématique du droit à
l’avortement médicalisé qui n’est pas un droit comme les autres ;
-
Les conséquences sociales
de l’interdiction de l’avortement médicalisé (naissance d’un enfant non désiré,
décès de femmes suite à des complications d’avortements non sécurisés, drames
familiaux avec comme toile de fonds l’avortement clandestin, emprisonnements
suite à des avortements clandestins ou infanticides) ;
-
Les défis à relever :
redéfinition du concept à conation négative de l’avortement médicalisé,
information et sensibilisation des populations sur l’article 14 de Maputo,
publication du protocole de Maputo, implication de toutes les catégories
sociales, communication avec les parlementaires) ;
-
La part de l’avortement
dans la difficulté à atteindre les OMD 4 et 5.
Cinquième communication :
les personnels de santé face à la problématique de l’interruption de grossesse
par Dr Seynabou Ba Diakhaté
La fréquence de la pandémie des
avortements à risque est sous-estimée. Elle concernerait 10 à 20% des
grossesses et serait responsable de 80000 décès maternels dans le monde soit
220 femmes qui meurent par jour suite aux complications d’avortements non
sécurisés. Au Sénégal, sur 5 décès maternels, un décès est lié à l’avortement. L’avortement
est défini par l’OMS comme une interruption de la grossesse survenant avant 22
semaines d’aménorrhée ou quand le produit de contraception expulsé est
inférieur à 500 grammes.
Les prestataires gèrent deux cas
de figures :
-
L’avortement spontané, dont
la prise en charge est relativement simple ;
-
L’avortement clandestin ou
non sécurisé, vrai casse-tête avec son lot de complications devant être
traitées en urgence.
La première difficulté à laquelle
le prestataire fait face est le déni du délit. Seules l’expérience et la
perspicacité de l’agent, devant la variété et l’extravagance des méthodes
abortives utilisées, peuvent amener la patiente a avoué pour diagnostiquer
l’avortement clandestin avec certitude.
La prise en charge de l’avortement
nécessite souvent une réanimation médicale, une prise en charge psychologique
(culpabilité, dépression) et une prise en charge des complications et séquelles
(infertilité consécutive).
Le personnel de santé peut
être :
-
Amené à réaliser une
interruption thérapeutique de grossesse (acte autorisé mais peu connu, peu
usité) ;
-
Confronté au dilemme de la
dénonciation de la patiente ayant avorté clandestinement ;
-
Tenté à une offre
d’avortement médicalisé dans un contexte d’illégalité réelle (au Sénégal, il
existe très peu d’études sur l’implication du personnel de santé dans les
avortements clandestins).
Les attitudes du personnel de
santé varient devant ces trois cas de figures :
-
Sympathie, conseils et
orientation de la patiente devant subir une interruption thérapeutique de
grossesse ;
-
« fermer les
yeux » et ne pas dénoncer la patiente ayant subi un avortement
clandestin ;
-
Appât du gain pouvant les
amener à être auteur d’un avortement médicalisé illégal.
Toujours est-il que le personnel
de santé, face aux convictions socio-culturelles et religieuses est souvent
confronté au dilemme de devoir sauver et à la sagesse d’obéir à la loi.
Actuellement, devant un cas de
grossesse non désirée, la conduite à tenir par le personnel médical consiste à
diagnostiquer la grossesse, en déterminer l’âge, rappeler à la patiente les
risques encourus par l’avortement et proposer un suivi prénatal gratuit.
Trois questions doivent être
traitées pour légaliser l’avortement médicalisé :
-
Pour qui : les
victimes de viols et d’incestes suivis de grossesse et celles encourant des
risques pour leur santé physique ou mentale en cas de poursuite de la
grossesse ;
-
Quand : entre 0 et 120
jours ;
-
Où : dans des centres
spécialisés ou plutôt dans des services intégrés dans les unités de santé de la
reproduction.
Sixième communication :
religions et interruption de grossesse par Mme Aida Ndoye du Réseau Siggil
Jigen (RSJ)
Cette communication était en fait
un compte rendu des visites de courtoisie effectuées auprès des familles et
autorités religieuses pour les sensibiliser sur l’avortement médicalisé. Ces
visites ont permis à la task force d’obtenir l’aval de ces familles et
autorités religieuses pour participer à l’élaboration de l’argumentaire
religieux.
Les discussions après la deuxième
série de trois communications ont porté sur la nécessité :
- d’agir aussi en amont pour
prévenir les cas de viols (exemple : en assurant aux jeunes filles dans
les lycées des cours de self défense) ;
-
d’assurer une éducation
sexuelle aux jeunes pour qu’ils aient un comportement responsable et évitent
les grossesses non désirées ;
-
d’alourdir les peines prévues
contre les violeurs et auteurs d’incestes ;
- de respecter le droit à
l’information des populations et de ne pas faire de l’avortement médicalisé un
sujet tabou.
Septième communication =
« un défi de santé publique : l’avortement à risque au Sénégal »,
traitée par Mme Adama Sanokho
Les avortements à risque
constituent 50% des motifs d’admission en urgence. Leurs coûts varient de 15000
à 500000 F CFA selon :
-
l’âge de la
grossesse : plus elle est avancée, plus le coût est élevé ;
-
le statut de l’auteur de la
grossesse : marié ou célibataire ;
-
le lieu où s’effectuera
l’acte : clinique ou cabinet ;
-
le pratiquant : plus
il est qualifié, plus le coût est élevé.
Le rapport coût- efficacité dans
la gestion des soins est lié :
-
au traitement des
complications de l’avortement provoqué fait dans de mauvaises conditions,
-
à la fourniture des soins
d’urgence et
-
à la formation
complémentaire du personnel pour maintenir un niveau de compétence le plus
élevé.
Les stratégies pour lutter contre
les avortements à risque sont entre autres :
-
la sensibilisation
continue, le renforcement de la communication entre parent et enfant sur
l’éducation sexuelle (abstinence),
-
la promotion de la
planification familiale particulièrement des préservatifs pour les personnes
sexuellement actives, la promotion de la santé de la reproduction des
adolescents et des jeunes,
-
la mise à contribution des
autres secteurs du développement.
Il faut prévenir les avortements
à risque et leur lot de complications au niveau :
-
communautaire
par l’éducation sexuelle des filles et une bonne communication entre
parent et enfant
-
des prestataires
par la prévention des grossesses non désirées (counseling abstinence ou
contraception) et l’amélioration de la qualité de l’accueil surtout des
adolescents
-
de l’Etat par :
o l’accessibilité et la disponibilité des soins de santé sexuelle
et reproductive à l’échelle nationale,
o la généralisation de l’éducation à la vie familiale dans les
écoles,
o la révision des textes de loi nationaux relatifs à l’avortement
et la lutte contre la pauvreté.
Le projet de loi de la task force
a ensuite été présenté puis discuté et des propositions d’amélioration du plan
d’action de la task force, des recommandations et les prochaines étapes ont été
formulées. (cf rapport AJS)