samedi 16 janvier 2016

REUNION D’ECHANGES D’EXPERIENCES DE  PAYS  AFRICAINS 
EN MATIERE D’ADOPTION ET DE MISE EN ŒUVRE DE LOIS ANTI TABAC
03/11/2015




              RAPPORTEUR : DOCTEUR MAME MBAYEME GUEYE DIONE



La deuxième vice-présidente de la commission santé a été invitée par la fondation Bill & Melinda Gates à participer à un atelier d’échanges d’expériences de pays africains sur les processus d’adoption et de mise en vigueur des lois anti-tabac. Cet atelier s’est tenu le 03 novembre 2015 à Addis Abeba, à l’hôtel Radisson Blu. La société civile sénégalaise était également représentée par l’association « Prévenir » et la ligue sénégalaise contre le tabac (LISTAB). Les objectifs visés par l’atelier étaient la compréhension partagée sur la mise en œuvre des politiques de lutte anti-tabac et le partage de connaissances sur l’économie du tabac.

Ainsi, lors de la cérémonie d’ouverture de l’atelier, le ministre de la santé de l’Ethiopie et la présidente de la commission affaires sociales de l’Assemblée nationale éthiopienne ont amorcé le partage des succès obtenus dans leur pays dans le cadre de la lutte contre le tabac. Le directeur Afrique de la fondation Bill & Melinda Gates, dans son discours d’ouverture a souligné que le développement du continent sera accéléré par la réduction des conséquences du tabac.

Les échanges se sont poursuivis avec quatre panels suivis de discussions, puis il y a eu deux communications de l’UEMOA et de l’UA, également suivies de discussions.

Déroulement de l’atelier

Premier panel : histoire de la lutte contre le tabac en Ethiopie
Ce panel modéré par le représentant pays de la fondation Bill & Melinda Gates, comptait par ailleurs un représentant du ministère de la santé d’Ethiopie, un représentant de l’Autorité de contrôle des aliments, des médicaments et de l’administration des soins de santé et le chef de l’organe de régulation du bureau santé de la région de Tigray. Prenant successivement la parole pour répondre aux questions du modérateur, les panélistes ont partagé l’expérience de la lutte contre le tabac en Ethiopie.

Le gouvernement éthiopien a entrepris juste après la ratification de la CCLAT plusieurs activités, notamment l’élaboration d’une directive pour le contrôle du tabagisme, de nombreuses activités de sensibilisation des parties prenantes par rapport à cette directive et l’élaboration d’un plan stratégique national pour le contrôle du tabagisme.

La dernière enquête de prévalence a révélé un taux de 7% d’adultes qui fument. Le tabac actuellement coûte moins cher que le pain en Ethiopie. L’augmentation du prix du tabac et de la taxe sur le tabac est en cours d’examen. Après le plan stratégique élaboré, l’option serait d’aller vers l’élaboration d’un plan d’action multisectoriel pour renforcer la collaboration intra pays mais également régionale avec les pays voisins.

Au niveau de la région de Tigray, abritant la première ville sans tabac de l’Ethiopie, un dialogue avec toutes les parties prenantes a été entretenu pendant un an et demi à travers des fora de discussion. Avec la rédaction de la proposition de loi, il y a eu de la résistance de la part de certains décideurs. La loi locale a été promulguée. Avec les communautés de sensibilisation, des ateliers de sensibilisation ont été effectués pour les propriétaires de restaurants, d’hôtels et le personnel administratif des écoles. Toutes ces activités renforcées par une campagne média au niveau de la capitale régionale ont permis au public de s’approprier l’esprit de la loi et aujourd’hui toutes les villes de la région de Tigray sont des villes sans tabac. Les leçons apprises de l’adoption et de l’application de la LAT au niveau de cette région sont l’engagement politique très fort, l’organisation des populations ayant favorisé l’engagement communautaire et le travail en harmonie avec des objectifs communs.

S’agissant des ressources allouées à la lutte contre le tabac en Ethiopie, le plan stratégique est chiffré à huit millions de birs (USD). Le financement de ce plan est attendu du gouvernement éthiopien et des partenaires au développement. Il est en effet nécessaire d’allouer des ressources aux ministères de la santé, du travail, de la recherche (pour les enquêtes à mener) et de l’éducation, vu que 22 millions de jeunes fréquentent les écoles. Les activités de communication et de plaidoyer sont coûteuses mais il y a eu soutien des PTF tels que la fondation Bill & Melinda Gates.

Les discussions soulevées dans ce premier panel ont eu trait à l’agenda du contrôle du tabac au plan mondial, l’accélération de la rationalisation de la couverture sanitaire universelle misant sur l’augmentation des ressources fiscales et des ressources financières en général pour couvrir les deux initiatives.

Deuxième panel : défis par rapport à l’interférence des industries du tabac (IT)
Ce panel modéré par le secrétaire exécutif intérimaire de l’African Tobacco Control Alliance (ATCA), a également vu la participation d’un parlementaire du Nigéria, d’un parlementaire de l’Uganda, d’une représentante du ministère de la santé du Kenya et du responsable de l’ONG kenyane « Kenya Tobacco Control Alliance».

Pour l’Ouganda, il a fallu trois ans pour arriver à un texte final approuvé. L’industrie du tabac a utilisé des méthodes directes et indirectes pour retarder l’adoption de la loi antitabac, en agissant auprès des agriculteurs ougandais, en manipulant un membre du gouvernement et en intimidant quelques parlementaires qui ont toutefois tenu bon. Toutes les parties prenantes se sont liguées contre l’IT pour s’opposer à l’importante réduction de la taxation sollicitée (passage de 55% à 11%). Et finalement la taxe a été ramenée à 45%.

Au Nigéria des activités de lobbiying ont été menées par l’IT auprès des parlementaires et il est noté un changement d’approche médiatique pour faire la promotion de leurs produits à travers les TIC d’où la nécessité de rester lucides et constants par rapport aux activités de plaidoyer.

Quant au Kenya, il a célébré en février dernier les dix ans de mise en œuvre de sa LAT. Dans ce pays, l’IT a suivi des responsables politiques pour réaliser des œuvres sociales et participé à la définition des structures complexes de taxation afin de protéger leurs produits sur le marché kenyan. Les groupes protégeant les droits des consommateurs ont été d’un grand appui pour la lutte antitabac au Kenya.

Durant ce panel, les discussions ont porté sur la bonne coordination régionale au niveau des partenaires, la signature d’accords entre douze pays en faveur de la mise en place du paquet neutre de cigarettes

Troisième panel : que se passe-t-il après le vote d’une nouvelle LAT ? Débat autour de la mise en œuvre de la politique
Le troisième panel modéré par le manager des affaires externes et du partenariat de l’ONG « The African Capacity Building Foundation » (ACBF) a enregistré la participation de la vice-présidente de la commission santé de l’Assemblée nationale sénégalaise, de la vice-présidente des programmes internationaux de l’ONG américaine « Campaign For Tobacco Free Kids » (CTFK) et du directeur exécutif du Conseil National anti-tabac de l’Afrique du Sud.

Au Sénégal, cinq éléments clés ont été décisifs pour le vote unanime de la LAT en mars 2014 :
  1. le partenariat exemplaire entre les parlementaires et la société civile (Ligue sénégalaise contre le tabac et bailleurs),
  2. l’engagement des députés sensibilisés à travers plusieurs sessions de renforcement de capacités, des lettres de rappel et une pétition en ligne de la LISTAB,
  3. l’engagement du gouvernement notamment du ministre de la santé à faire voter le projet de LAT,
  4. le soutien acquis des religieux,
  5. la bonne collaboration entre le parlement- le gouvernement et la société civile marquée par la célébration de la journée mondiale de lutte contre le tabac dans les murs de l’assemblée nationale en mai 2013. Cette célébration a permis aux élèves de prononcer une déclaration à l’endroit des députés pour l’adoption d’une LAT forte les protégeant et aux députés de la douzième législature de s’engager à travers une déclaration d’honneur, de ne jamais accepter d’être sponsorisés par l’industrie du tabac dans le cadre de leurs activités politiques.
Pour renforcer de manière pérenne les capacités techniques et financières du gouvernement pour lutter contre le tabagisme, les députés devraient vérifier à travers des questions écrites, orales, d’actualités et au cours des sessions de travail en commissions techniques et en plénières :
-   l’existence d’allocations budgétaires conséquentes au niveau des ministères techniques concernés par la mise en œuvre du plan national de lutte contre le tabac (exemple : Au niveau du MEFP, prise en compte des indicateurs traceurs de la LAT dans les EDS continus effectués par l’ANSD),
-          l’état de mise en œuvre du plan national de LAT,
-      l’existence de mesures administratives ou politiques simples par les décideurs en faveur de l’application effective de la LAT (exemple : une circulaire ministérielle d’information des inspections d’académie sur la mise en vigueur effective de la LAT et l’interdiction de fumer dans les écoles, à afficher dans les structures).

Après le vote de la LAT, le ministère de la santé s’est lancé dans la rédaction des décrets d’application, a commandité avec l’appui des PTF et de l’ANSD une enquête nationale de prévalence du tabagisme chez les adultes (GATTS), a installé le comité national de lutte contre le tabac et invité par circulaire ministérielle les gouverneurs et préfets à installer les comités régionaux et département de lutte contre la tabac. Pour une meilleure coordination de la lutte anti-tabac au niveau national, un numéro vert gratuit pourrait être mis en place afin de permettre au tout citoyen sensibilisé et aux membres des comités de lutte contre le tabac de reporter les cas d’infraction. De même un bulletin électronique, trimestriel d’informations permettraient aux acteurs d’être informées des activités menées et des planifications des différents comités.

En Afrique du sud, grâce au processus de renforcement de la législation anti-tabac, la mortalité liée au tabagisme a pu être réduite de 50%. Depuis 1993, un texte de lois interdisant la vente de tabac aux enfants a été adopté et les citoyens ont utilisé la LAT pour exiger que leurs droits soient préservés. Du fait des nombreuses tactiques de l’industrie du tabac pour affaiblir la loi, cette dernière est régulièrement révisée. Malgré l’interdiction de la publicité ; l’IT utilise les sms, internet et des soirées privées pour faire du marketing viral pro-tabac. Et aujourd’hui l’Afrique du sud compte encore 6 millions de fumeurs de cigarettes et 200000 utilisateurs de la cigarette électronique.

La contribution de la vice-présidente de CTFK a porté sur la mise en œuvre effective des LAT adoptées pour impacter sur la prévention des maladies liées au tabagisme. Les gouvernements en cela doivent être appuyés par la société civile. La mise en œuvre peut prendre beaucoup de temps et nécessite un effort de plaidoyer continu, d’autant plus que le gouvernement est souvent harcelé par plusieurs questions. Il y a cependant nécessité de démarrer vite pour pallier aux lenteurs administratives qui inévitablement surviennent par la suite. Elle a ensuite présenté des exemples d’implantations réussies de LAT notamment en Russie et au Vietnam.

Au cours des discussions abordés, il a été fait état du niveau d’avancement des décrets d’application de la LAT du Sénégal, arrivés pratiquement en fin de circuit.

Quatrième panel : aspects économiques de la lutte anti-tabac (taxation)
Les différents panélistes ont tour à tour abordé les points suivants :

Kenya : cette année 6 milliards de shilling obtenus avec la taxation (accroissement de 20%) ; augmentation de la taxation du tabac à 46%. Un changement de paradigme est noté avec l’implication du ministre de la santé, la prise en compte des avis de la société civile consultée. Il y a eu changement des structures de la taxation cinq fois, allant de la taxe ad valorem à la taxation par 1000 bâtons de cigarettes (25 dollars).

Banque mondiale : Un groupe d’experts s’est réuni en 1999 sous l’égide de la banque mondiale pour réfléchir à comment mettre fin à l’épidémie du tabagisme. Le coût social du tabagisme est très élevé. Il faut une approche multisectorielle pour permettre de consolider l’imposition et étendre la base de l’imposition avec implication de toutes les parties prenantes.

OMS : L’OMS a travaillé dans la région africaine avec la fondation Bill & Melinda Gates. La taxe peut s’élever à 17%. Plus de 60% des pays en Afrique sub-saharienne utilisent des taxes datant de l’époque coloniale. Le prix du paquet de cigarettes est très bas en Afrique. Il faut augmenter la taxe sur le tabac et le prix des paquets de cigarettes, réduire l’accessibilité des populations au tabac et éviter les fluctuations. Entre 1990 et 2013, le paquet de cigarette est devenu cher dans les pays riches mais non dans les pays pauvres. Un tiers des pays en développement ont pu accéder plus au tabac qu’aux boissons alcoolisées. Il faudrait se baser sur les blocs économiques plus développés en Afrique pour organiser des unions douanières régionales. Le Nigéria essaye de taxer plus la téléphonie mobile pour faire avancer l’agenda de la lutte contre le tabac. Il ne faudrait pas sous-estimer les industries du tabac qui essayent d’infiltrer les ministères de la santé et du commerce.

A la suite de leurs interventions les discussions ont porté sur :
-          les soutiens en termes d’impôts pour la santé et les réticences à avoir des taxes spécifiques sur le tabac pour financer la santé,
-       la comptabilisation des taxes de manière appropriée ou pas, la structure fiscale de la taxe à coupler avec un renforcement du contrôle,
-          le trafic illicite de tabac et les méthodes de le contrer résumé au sein du protocole additionnel de l’OMS.

Faisant suite à ce quatrième panel, la communication de l’UEMOA a porté sur comment les communautés économiques régionales peuvent faire avancer le contrôle du tabagisme. La fiscalité doit être un instrument efficace pour mobiliser les ressources nécessaires au financement public. C’est ainsi qu’en 1998, des droits d’accise ont été identifiés au niveau communautaire pour un certain nombre de produits dont la cigarette. Cependant il n’y avait pas d’objectif de lutter contre le tabac derrière cette mesure. Des taux plafond de 45% et plancher de 15% ont été fixés. L’OMS a contacté l’UEMOA pour réaliser un travail régulier en 2013-2014 en vue de l’adoption d’une feuille de route pour crever le plafond de 45%. Les états étant souverains, peuvent s’arroger le droit d’augmenter la taxation sur le tabac pour financer certaines politiques ou initiatives, mais en veillant à ne pas engendrer la fraude. Ceci est d’autant plus important que certains états membres aux frontières très étendues, la surveillance efficace de ces frontières est impossible.
Le Bénin a créé son écotaxe et le Sénégal a adopté une surtaxe de 20%.
Le plancher a été relevé à 35% et il a été recommandé que la taxe représente au moins 50% du prix du détail de la cigarette.
La structure de la taxe comprend les droits de douane, le droit d’accise, la TVA et la surtaxe.
La Turquie a mis en œuvre le mécanisme MPOWER, ce qui lui a permis de maîtriser la fiscalité du tabac, la contrebande et la prévalence du tabagisme, essentiellement grâce à un marquage depuis le lieu de fabrication du tabac.
La maîtrise de toute l’assiette permet une mobilisation de beaucoup de ressources. Il faut cependant garder à l’esprit que lorsque l’impôt devient confiscatoire, les gens s’opposent (sociologie de l’impôt) et préférer des droits d’accise fixes (300 à 500 F par paquet de cigarette vendu au pourcentage élevé.

La communication de la commission de l’Union Africaine a traité de la lutte contre le tabagisme et les maladies non transmissibles au sein de l’institution. L’institution encourage les pays membres à ratifier la CCLAT et le protocole contre le commerce illicite de tabac. Par ailleurs, elle envisage de mesurer les progrès des pays signataires. Toutefois l’un des plus grands défis réside dans le fait que certains pays membres sont entièrement dépendants du commerce du tabac constituant parfois 75% des recettes et 10% du PIB. Egalement la ratification n’implique pas l’application de la loi dans certains pays. Il faudrait promouvoir le dialogue entre ministères de la santé et de l’agriculture afin de trouver des alternatives à la culture du tabac pour les agriculteurs qui en dépendent.

Les discussions pour ces deux communications ont tourné autour des atouts (barrière protectrice de la mer entourant des pays tels que Madagascar, la Réunion et les Seychelles, contre le commerce illicite) et problèmes spécifiques à certains pays liés à l’étendue de leurs frontières (Mali et Niger).

La synthèse journalière des recommandations clés a permis de mettre le focus sur la nécessité de :
-          continuer à innover pour ne pas être rattrapé par l’IT,
-          battre le fer pendant qu’il est chaud (après le vote des LAT, ne pas les laisser dormir),
-          investir dans les médias de masse en s’assurant que le média sélectionné est convaincu que le tabac est l’ennemi,
-          retenir qu’il n’y a pas de prévalence basse du tabagisme.

La cérémonie de clôture a permis de revenir sur les recommandations formulées par les participants au cours de la journée et d’avoir les appréciations de la fondation Bill & Melinda Gates.


Fait à Dakar le 04/11/2015

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