REUNION D’ECHANGES D’EXPERIENCES DE PAYS AFRICAINS
EN MATIERE D’ADOPTION ET DE MISE EN
ŒUVRE DE LOIS ANTI TABAC
03/11/2015
RAPPORTEUR : DOCTEUR MAME
MBAYEME GUEYE DIONE
La deuxième vice-présidente de la
commission santé a été invitée par la fondation Bill & Melinda Gates à
participer à un atelier d’échanges d’expériences de pays africains sur les
processus d’adoption et de mise en vigueur des lois anti-tabac. Cet atelier s’est
tenu le 03 novembre 2015 à Addis Abeba, à l’hôtel Radisson Blu. La société
civile sénégalaise était également représentée par l’association
« Prévenir » et la ligue sénégalaise contre le tabac (LISTAB). Les
objectifs visés par l’atelier étaient la compréhension partagée sur la
mise en œuvre des politiques de lutte anti-tabac et le partage de connaissances
sur l’économie du tabac.
Ainsi, lors de la cérémonie
d’ouverture de l’atelier, le ministre de la santé de l’Ethiopie et la
présidente de la commission affaires sociales de l’Assemblée nationale
éthiopienne ont amorcé le partage des succès obtenus dans leur pays dans le
cadre de la lutte contre le tabac. Le directeur Afrique de la fondation Bill
& Melinda Gates, dans son discours d’ouverture a souligné que le
développement du continent sera accéléré par la réduction des conséquences du
tabac.
Les échanges se sont poursuivis
avec quatre panels suivis de discussions, puis il y a eu deux communications de
l’UEMOA et de l’UA, également suivies de discussions.
Déroulement de l’atelier
Premier panel : histoire
de la lutte contre le tabac en Ethiopie
Ce panel modéré par le
représentant pays de la fondation Bill & Melinda Gates, comptait par
ailleurs un représentant du ministère de la santé d’Ethiopie, un représentant
de l’Autorité de contrôle des aliments, des médicaments et de l’administration
des soins de santé et le chef de l’organe de régulation du bureau santé de la
région de Tigray. Prenant successivement la parole pour répondre aux questions
du modérateur, les panélistes ont partagé l’expérience de la lutte contre le
tabac en Ethiopie.
Le gouvernement éthiopien a
entrepris juste après la ratification de la CCLAT plusieurs activités,
notamment l’élaboration d’une directive pour le contrôle du tabagisme, de
nombreuses activités de sensibilisation des parties prenantes par rapport à
cette directive et l’élaboration d’un plan stratégique national pour le
contrôle du tabagisme.
La dernière enquête de prévalence
a révélé un taux de 7% d’adultes qui fument. Le tabac actuellement coûte moins
cher que le pain en Ethiopie. L’augmentation du prix du tabac et de la taxe sur
le tabac est en cours d’examen. Après le plan stratégique élaboré, l’option
serait d’aller vers l’élaboration d’un plan d’action multisectoriel pour
renforcer la collaboration intra pays mais également régionale avec les pays
voisins.
Au niveau de la région de Tigray,
abritant la première ville sans tabac de l’Ethiopie, un dialogue avec toutes les
parties prenantes a été entretenu pendant un an et demi à travers des fora de
discussion. Avec la rédaction de la proposition de loi, il y a eu de la
résistance de la part de certains décideurs. La loi locale a été promulguée.
Avec les communautés de sensibilisation, des ateliers de sensibilisation ont
été effectués pour les propriétaires de restaurants, d’hôtels et le personnel
administratif des écoles. Toutes ces activités renforcées par une campagne
média au niveau de la capitale régionale ont permis au public de s’approprier
l’esprit de la loi et aujourd’hui toutes les villes de la région de Tigray sont
des villes sans tabac. Les leçons apprises de l’adoption et de l’application de
la LAT au niveau de cette région sont l’engagement politique très fort,
l’organisation des populations ayant favorisé l’engagement communautaire et le
travail en harmonie avec des objectifs communs.
S’agissant des ressources
allouées à la lutte contre le tabac en Ethiopie, le plan stratégique est
chiffré à huit millions de birs (USD). Le financement de ce plan est attendu du
gouvernement éthiopien et des partenaires au développement. Il est en effet
nécessaire d’allouer des ressources aux ministères de la santé, du travail, de
la recherche (pour les enquêtes à mener) et de l’éducation, vu que 22 millions
de jeunes fréquentent les écoles. Les activités de communication et de
plaidoyer sont coûteuses mais il y a eu soutien des PTF tels que la fondation
Bill & Melinda Gates.
Les discussions soulevées dans ce
premier panel ont eu trait à l’agenda du contrôle du tabac au plan mondial,
l’accélération de la rationalisation de la couverture sanitaire universelle
misant sur l’augmentation des ressources fiscales et des ressources financières
en général pour couvrir les deux initiatives.
Deuxième panel : défis
par rapport à l’interférence des industries du tabac (IT)
Ce panel modéré par le secrétaire
exécutif intérimaire de l’African Tobacco Control Alliance (ATCA), a également
vu la participation d’un parlementaire du Nigéria, d’un parlementaire de
l’Uganda, d’une représentante du ministère de la santé du Kenya et du
responsable de l’ONG kenyane « Kenya Tobacco Control Alliance».
Pour l’Ouganda, il a fallu
trois ans pour arriver à un texte final approuvé. L’industrie du tabac a
utilisé des méthodes directes et indirectes pour retarder l’adoption de la loi
antitabac, en agissant auprès des agriculteurs ougandais, en manipulant un
membre du gouvernement et en intimidant quelques parlementaires qui ont
toutefois tenu bon. Toutes les parties prenantes se sont liguées contre l’IT
pour s’opposer à l’importante réduction de la taxation sollicitée (passage de
55% à 11%). Et finalement la taxe a été ramenée à 45%.
Au Nigéria des activités
de lobbiying ont été menées par l’IT auprès des parlementaires et il est noté
un changement d’approche médiatique pour faire la promotion de leurs produits à
travers les TIC d’où la nécessité de rester lucides et constants par rapport
aux activités de plaidoyer.
Quant au Kenya, il a célébré
en février dernier les dix ans de mise en œuvre de sa LAT. Dans ce pays, l’IT a
suivi des responsables politiques pour réaliser des œuvres sociales et
participé à la définition des structures complexes de taxation afin de protéger
leurs produits sur le marché kenyan. Les groupes protégeant les droits des
consommateurs ont été d’un grand appui pour la lutte antitabac au Kenya.
Durant ce panel, les discussions
ont porté sur la bonne coordination régionale au niveau des partenaires, la
signature d’accords entre douze pays en faveur de la mise en place du paquet
neutre de cigarettes
Troisième panel : que se
passe-t-il après le vote d’une nouvelle LAT ? Débat autour de la mise en
œuvre de la politique
Le troisième panel modéré par le
manager des affaires externes et du partenariat de l’ONG « The African
Capacity Building Foundation » (ACBF) a enregistré la participation de la
vice-présidente de la commission santé de l’Assemblée nationale sénégalaise, de
la vice-présidente des programmes internationaux de l’ONG américaine « Campaign
For Tobacco Free Kids » (CTFK) et du directeur exécutif du Conseil
National anti-tabac de l’Afrique du Sud.
Au Sénégal, cinq éléments
clés ont été décisifs pour le vote unanime de la LAT en mars 2014 :
- le
partenariat exemplaire entre les parlementaires et la société civile
(Ligue sénégalaise contre le tabac et bailleurs),
- l’engagement
des députés sensibilisés à travers plusieurs sessions de renforcement de
capacités, des lettres de rappel et une pétition en ligne de la LISTAB,
- l’engagement
du gouvernement notamment du ministre de la santé à faire voter le projet
de LAT,
- le
soutien acquis des religieux,
- la
bonne collaboration entre le parlement- le gouvernement et la société
civile marquée par la célébration de la journée mondiale de lutte contre
le tabac dans les murs de l’assemblée nationale en mai 2013. Cette
célébration a permis aux élèves de prononcer une déclaration à l’endroit
des députés pour l’adoption d’une LAT forte les protégeant et aux députés
de la douzième législature de s’engager à travers une déclaration
d’honneur, de ne jamais accepter d’être sponsorisés par l’industrie du
tabac dans le cadre de leurs activités politiques.
Pour renforcer de manière pérenne
les capacités techniques et financières du gouvernement pour lutter contre le
tabagisme, les députés devraient vérifier à travers des questions écrites,
orales, d’actualités et au cours des sessions de travail en commissions
techniques et en plénières :
- l’existence d’allocations
budgétaires conséquentes au niveau des ministères techniques concernés par la
mise en œuvre du plan national de lutte contre le tabac (exemple : Au
niveau du MEFP, prise en compte des indicateurs traceurs de la LAT dans les EDS
continus effectués par l’ANSD),
-
l’état de mise en œuvre du
plan national de LAT,
- l’existence de mesures
administratives ou politiques simples par les décideurs en faveur de
l’application effective de la LAT (exemple : une circulaire ministérielle
d’information des inspections d’académie sur la mise en vigueur effective de la
LAT et l’interdiction de fumer dans les écoles, à afficher dans les structures).
Après le vote de la LAT, le
ministère de la santé s’est lancé dans la rédaction des décrets d’application,
a commandité avec l’appui des PTF et de l’ANSD une enquête nationale de
prévalence du tabagisme chez les adultes (GATTS), a installé le comité national
de lutte contre le tabac et invité par circulaire ministérielle les gouverneurs
et préfets à installer les comités régionaux et département de lutte contre la
tabac. Pour une meilleure coordination
de la lutte anti-tabac au niveau national, un numéro vert gratuit pourrait être
mis en place afin de permettre au tout citoyen sensibilisé et aux membres des
comités de lutte contre le tabac de reporter les cas d’infraction. De même un
bulletin électronique, trimestriel d’informations permettraient aux acteurs
d’être informées des activités menées et des planifications des différents
comités.
En Afrique du sud, grâce
au processus de renforcement de la législation anti-tabac, la mortalité liée au
tabagisme a pu être réduite de 50%. Depuis 1993, un texte de lois interdisant
la vente de tabac aux enfants a été adopté et les citoyens ont utilisé la LAT
pour exiger que leurs droits soient préservés. Du fait des nombreuses tactiques
de l’industrie du tabac pour affaiblir la loi, cette dernière est régulièrement
révisée. Malgré l’interdiction de la publicité ; l’IT utilise les sms,
internet et des soirées privées pour faire du marketing viral pro-tabac. Et aujourd’hui
l’Afrique du sud compte encore 6 millions de fumeurs de cigarettes et 200000
utilisateurs de la cigarette électronique.
La contribution de la vice-présidente
de CTFK a porté sur la mise en œuvre effective des LAT adoptées pour impacter
sur la prévention des maladies liées au tabagisme. Les gouvernements en cela
doivent être appuyés par la société civile. La mise en œuvre peut prendre
beaucoup de temps et nécessite un effort de plaidoyer continu, d’autant plus
que le gouvernement est souvent harcelé par plusieurs questions. Il y a
cependant nécessité de démarrer vite pour pallier aux lenteurs administratives
qui inévitablement surviennent par la suite. Elle a ensuite présenté des
exemples d’implantations réussies de LAT notamment en Russie et au Vietnam.
Au cours des discussions abordés,
il a été fait état du niveau d’avancement des décrets d’application de la LAT
du Sénégal, arrivés pratiquement en fin de circuit.
Quatrième panel : aspects économiques de la lutte
anti-tabac (taxation)
Les différents panélistes ont tour à tour abordé les points suivants :
Kenya : cette année 6
milliards de shilling obtenus avec la taxation (accroissement de 20%) ;
augmentation de la taxation du tabac à 46%. Un changement de paradigme est noté
avec l’implication du ministre de la santé, la prise en compte des avis de la
société civile consultée. Il y a eu changement des structures de la taxation
cinq fois, allant de la taxe ad valorem à la taxation par 1000 bâtons de
cigarettes (25 dollars).
Banque mondiale : Un
groupe d’experts s’est réuni en 1999 sous l’égide de la banque mondiale pour
réfléchir à comment mettre fin à l’épidémie du tabagisme. Le coût social du
tabagisme est très élevé. Il faut une approche multisectorielle pour permettre
de consolider l’imposition et étendre la base de l’imposition avec implication
de toutes les parties prenantes.
OMS : L’OMS a
travaillé dans la région africaine avec la fondation Bill & Melinda Gates.
La taxe peut s’élever à 17%. Plus de 60% des pays en Afrique sub-saharienne
utilisent des taxes datant de l’époque coloniale. Le prix du paquet de
cigarettes est très bas en Afrique. Il faut augmenter la taxe sur le tabac et
le prix des paquets de cigarettes, réduire l’accessibilité des populations au
tabac et éviter les fluctuations. Entre 1990 et 2013, le paquet de cigarette
est devenu cher dans les pays riches mais non dans les pays pauvres. Un tiers
des pays en développement ont pu accéder plus au tabac qu’aux boissons
alcoolisées. Il faudrait se baser sur les blocs économiques plus développés en
Afrique pour organiser des unions douanières régionales. Le Nigéria essaye de
taxer plus la téléphonie mobile pour faire avancer l’agenda de la lutte contre
le tabac. Il ne faudrait pas sous-estimer les industries du tabac qui essayent
d’infiltrer les ministères de la santé et du commerce.
A la suite de leurs interventions
les discussions ont porté sur :
-
les soutiens en termes
d’impôts pour la santé et les réticences à avoir des taxes spécifiques sur le
tabac pour financer la santé,
- la comptabilisation des
taxes de manière appropriée ou pas, la structure fiscale de la taxe à coupler
avec un renforcement du contrôle,
-
le trafic illicite de tabac
et les méthodes de le contrer résumé au sein du protocole additionnel de l’OMS.
Faisant suite à ce quatrième
panel, la communication de l’UEMOA a porté sur comment les communautés
économiques régionales peuvent faire avancer le contrôle du tabagisme. La
fiscalité doit être un instrument efficace pour mobiliser les ressources
nécessaires au financement public. C’est ainsi qu’en 1998, des droits d’accise
ont été identifiés au niveau communautaire pour un certain nombre de produits
dont la cigarette. Cependant il n’y avait pas d’objectif de lutter contre le
tabac derrière cette mesure. Des taux plafond de 45% et plancher de 15% ont été
fixés. L’OMS a contacté l’UEMOA pour réaliser un travail régulier en 2013-2014
en vue de l’adoption d’une feuille de route pour crever le plafond de 45%. Les
états étant souverains, peuvent s’arroger le droit d’augmenter la taxation sur
le tabac pour financer certaines politiques ou initiatives, mais en veillant à
ne pas engendrer la fraude. Ceci est d’autant plus important que certains états
membres aux frontières très étendues, la surveillance efficace de ces
frontières est impossible.
Le Bénin a créé son écotaxe et le
Sénégal a adopté une surtaxe de 20%.
Le plancher a été relevé à 35% et
il a été recommandé que la taxe représente au moins 50% du prix du détail de la
cigarette.
La structure de la taxe comprend
les droits de douane, le droit d’accise, la TVA et la surtaxe.
La Turquie a mis en œuvre le
mécanisme MPOWER, ce qui lui a permis de maîtriser la fiscalité du tabac, la
contrebande et la prévalence du tabagisme, essentiellement grâce à un marquage
depuis le lieu de fabrication du tabac.
La maîtrise de toute l’assiette
permet une mobilisation de beaucoup de ressources. Il faut cependant garder à
l’esprit que lorsque l’impôt devient confiscatoire, les gens s’opposent
(sociologie de l’impôt) et préférer des droits d’accise fixes (300 à 500 F par
paquet de cigarette vendu au pourcentage élevé.
La communication de la commission
de l’Union Africaine a traité de la lutte contre le tabagisme et les
maladies non transmissibles au sein de l’institution. L’institution encourage
les pays membres à ratifier la CCLAT et le protocole contre le commerce
illicite de tabac. Par ailleurs, elle envisage de mesurer les progrès des pays
signataires. Toutefois l’un des plus grands défis réside dans le fait que
certains pays membres sont entièrement dépendants du commerce du tabac
constituant parfois 75% des recettes et 10% du PIB. Egalement la ratification
n’implique pas l’application de la loi dans certains pays. Il faudrait
promouvoir le dialogue entre ministères de la santé et de l’agriculture afin de
trouver des alternatives à la culture du tabac pour les agriculteurs qui en
dépendent.
Les discussions pour ces deux
communications ont tourné autour des atouts (barrière protectrice de la mer
entourant des pays tels que Madagascar, la Réunion et les Seychelles, contre le
commerce illicite) et problèmes spécifiques à certains pays liés à l’étendue de
leurs frontières (Mali et Niger).
La synthèse journalière des
recommandations clés a permis de mettre le focus sur la nécessité de :
-
continuer à innover pour ne
pas être rattrapé par l’IT,
-
battre le fer pendant qu’il
est chaud (après le vote des LAT, ne pas les laisser dormir),
-
investir dans les médias de
masse en s’assurant que le média sélectionné est convaincu que le tabac est
l’ennemi,
-
retenir qu’il n’y a pas de
prévalence basse du tabagisme.
La cérémonie de clôture a permis de revenir sur les recommandations formulées par les participants au cours de la journée et d’avoir les appréciations de la fondation Bill & Melinda Gates.
Fait à Dakar le 04/11/2015
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire