samedi 16 janvier 2016

Atelier de sensibilisation sur l'avortement médicalisé

COMPTE RENDU DE L’ATELIER DE SENSIBILISATION ET D’ECHANGES SUR LES PROBLEMATIQUES LIEES A L’ACCES A L’AVORTEMENT MEDICALISE

17-18 DECEMBRE 2015
HOTEL IRIS/ TOUBAB DIALAW


Un atelier de sensibilisation et d’échanges sur les problématiques liées à l’accès à l’avortement médicalisé s’est tenu les 17 et 18 décembre 2015 à l’hôtel Iris de Toubab Dialaw, en présence d’une délégation de onze députés dirigée par le président de la commission santé Monsieur Aimé Assine.

L’objectif général de l’atelier était de contribuer à renforcer le plaidoyer pour la dépénalisation de l’avortement en cas de viol, d’inceste ou de menace pour la santé physique ou mentale de la mère.
Les objectifs spécifiques consistaient à :
-        Faire comprendre aux participants les enjeux de l’avortement,
-       Mieux outiller les membres du gouvernement et du parlement pour soutenir l’adoption de la loi sur l’accès à l’avortement médicalisé,
-        Créer les conditions d’appropriation de la lutte pour l’accès à l’avortement médicalisé.

Cet atelier de deux jours s’est déroulé à travers deux séries de trois présentations suivies de discussions le premier jour ; puis au deuxième jour une septième communication et le projet de loi de la task force ont été présentés, débattus et suivis de propositions de plan d’action, recommandations et prochaines étapes. La task force regroupe 22 structures et associations luttant pour la défense de la cause de l’avortement médicalisé

Ouvrant la séance, le président de la commission santé a successivement donné la parole à Mme Soukeyna Ndao Diallo de l’AJS puis au juge Abdoulaye BA, représentant du ministre de la justice. Mme Diallo, après avoir remercié les parlementaires et les membres de la task force, est revenue sur la nécessité de voter la loi sur l’avortement médicalisé lorsqu’elle sera déposée à l’assemblée nationale. Le juge Ba a axé son propos sur le fait qu’il faut éviter aux victimes d’abus sexuels (incestes, viols) de porter des grossesses non désirées et préserver les bébés de la honte dès leur naissance. Le président de séance a insisté sur le dilemme posé par les discordances entre le protocole de Maputo ratifié sans réserve par notre pays et nos textes juridiques que sont le code pénal et le code de déontologie médicale. Il a clos son discours en revenant sur la nécessité de soulager les victimes que sont les abusées et ceux qui naissent de ces actes d’abus sexuel.

Première communication : Résultats de l’étude Guttmacher sur l’avortement provoqué au Sénégal (2013, CRDH) par le chercheur Amadou Assane Sylla
Cette étude avait pour objectifs d’estimer l’incidence de l’avortement, l’incidence et le traitement des complications de l’avortement provoqué et les disparités entre les populations de femmes. Cette estimation s’est faite de façon indirecte en recherchant les complications liées à l’avortement et traitées dans les structures de santé. Les principaux résultats trouvés par l’étude Guttmacher sont les suivants :
-         En 2012, 51500 cas d’avortements provoqués ont été recensés portant l’estimation à 17 pour 1000 femmes âgées de 15 à 45 ans (2%) ;
-          Dakar présente le plus fort taux 23,5 pour 1000 contre 14,1 pour 1000 pour le reste du pays ;
-          55% des femmes qui se font avorter ont des complications nécessitant un traitement médical ;
-         42% d’entre elles n’ont pas de traitement adéquat (soins après avortement) et 23% n’ont pas de traitement ;
-          Les femmes pauvres courent les plus grands risques : 42% d’entre elles vivent en zone rurale et 32% en zone urbaine.

L’incidence moyenne des avortements à risque pour l’Afrique de l’Ouest est de 28 pour 1000.
Une des principales recommandations de cette étude est d’assurer la disponibilité des soins post avortements aussi bien en zone rurale qu’urbaine (équipements et prestataires formés).

Deuxième communication : les violences basées sur le genre, quelques statistiques par Mme Amy Sakho
Les deux boutiques de droit (Guédiawaye et Médina) ont enregistré 250 cas de viol de janvier à novembre 2015 survenus chez des filles âgées de 3 à 18 ans, dont 52 suivis de grossesses et 25 cas d’incestes.
Les statistiques de la direction de l’administration pénitentiaire pour la prison des femmes de Liberté VI ont permis de dénombrer sur 116 femmes incarcérées : 31 cas d’infanticide dont 16 effectués par des mineures. Le rapport 2014 de l’AJS/AFEMS/ Haut-commissariat des droits de l’homme a révélé que sur 5 prisons visitées, l’infanticide était la deuxième cause d’incarcération des femmes après le trafic de stupéfiants.
Mme Sakho a conclu en rappelant que « la vie n’est pas que physique, elle est aussi psychologique ».

Ces deux premières présentations ont été suivies de discussions ayant essentiellement tourné autour des points suivants :
-   Qu’est ce qui est entrepris à l’endroit des violeurs, de ceux qui abusent sexuellement des fillettes et jeunes filles ? ;
-    Les problèmes psychologiques induits chez le personnel de santé confronté à ces cas récurrents ;
-         Les carences de la communication par rapport à la gestion de ces cas et l’hypocrisie au sein de la société ;
-       Les raisons du plus fort taux de prévalence d’avortement provoqué trouvé à Dakar (enquête Guttmacher) pouvant être liées à son poids démographique, à la forte concentration des structures de santé et à la recherche de l’anonymat urbain.

Troisième communication : l’environnement juridique de l’interruption de grossesse par Mme Soukeyna Ndao Diallo
Au Sénégal sur cinq femmes qui meurent chaque jour pour causes liées à la grossesse ou l’accouchement, une décède suite à des complications secondaires à un avortement clandestin.
Les textes juridiques internationaux et nationaux portant sur l’interruption de grossesse sont :
-          L’article 14 du protocole de Maputo ratifié sans réserve par l’Etat du Sénégal et la CEDEF ;
-          Les articles 305 et 305 bis du code pénal ;
-          La loi sur la santé de la reproduction (articles 1er- 3 -9- 15) ;
-          Le code de déontologie médicale (article 35).
La task force souhaite que :
-          L’avortement forcé et l’avortement exécuté par une personne non qualifiée soit réprimée ;
-          L’abrogation de l’article 305 bis du code pénal et la modification de l’article 35 du code de déontologie médicale ;
-          Le renforcement de l’accès à la PF pour satisfaire les besoins en PF des femmes.
Mme Diallo a conclu sa présentation par la citation suivante : « Si les femmes sont toujours victimes et souvent auteurs des faits d’avortement, les hommes sont quant à eux auteurs du fait GENERATEUR ».

Les discussions qui ont suivies cette quatrième communication ont mis l’accent sur :
-          Les notions de viol (qualification prononcée par le tribunal souvent après un délai assez long), d’interruption de grossesse (possible sur la période très courte des trois premiers mois de grossesse) et d’infanticide (interruption de la grossesse au-delà de ces trois premiers mois de grossesse et à l’accouchement d’un enfant vivant) ;
-          La difficulté d’avoir une décision judiciaire en trois mois ;
-          La cherté du test d’ADN (300000 F.CFA) ;
-     La gestion des cas de viols suivis de grossesse selon une approche multisectorielle avec l’implication des secteurs ministériels devant défendre la cause de l’avortement médicalisé (santé, justice, femme).

Quatrième communication : les enjeux sociaux liés à l’avortement par Mme Penda Seck Diouf
Après trois récits de vie poignants, les points abordés lors de cette communication ont porté sur :
-          La peur de la sanction sociale, l’humiliation et la stigmatisation qui font que du point de vue sociétale, il est important que cet enfant ne naisse pas et qu’il y ait interruption naturelle ou volontaire de la grossesse ; le refus de porter le lourd fardeau à vie de cet enfant qualifié de « haram » (impur) ;
-          La problématique du droit à l’avortement médicalisé qui n’est pas un droit comme les autres ;
-          Les conséquences sociales de l’interdiction de l’avortement médicalisé (naissance d’un enfant non désiré, décès de femmes suite à des complications d’avortements non sécurisés, drames familiaux avec comme toile de fonds l’avortement clandestin, emprisonnements suite à des avortements clandestins ou infanticides) ;
-          Les défis à relever : redéfinition du concept à conation négative de l’avortement médicalisé, information et sensibilisation des populations sur l’article 14 de Maputo, publication du protocole de Maputo, implication de toutes les catégories sociales, communication avec les parlementaires) ;
-          La part de l’avortement dans la difficulté à atteindre les OMD 4 et 5.

Cinquième communication : les personnels de santé face à la problématique de l’interruption de grossesse par Dr Seynabou Ba Diakhaté
La fréquence de la pandémie des avortements à risque est sous-estimée. Elle concernerait 10 à 20% des grossesses et serait responsable de 80000 décès maternels dans le monde soit 220 femmes qui meurent par jour suite aux complications d’avortements non sécurisés. Au Sénégal, sur 5 décès maternels, un décès est lié à l’avortement. L’avortement est défini par l’OMS comme une interruption de la grossesse survenant avant 22 semaines d’aménorrhée ou quand le produit de contraception expulsé est inférieur à 500 grammes.
Les prestataires gèrent deux cas de figures :
-          L’avortement spontané, dont la prise en charge est relativement simple ;
-          L’avortement clandestin ou non sécurisé, vrai casse-tête avec son lot de complications devant être traitées en urgence.
La première difficulté à laquelle le prestataire fait face est le déni du délit. Seules l’expérience et la perspicacité de l’agent, devant la variété et l’extravagance des méthodes abortives utilisées, peuvent amener la patiente a avoué pour diagnostiquer l’avortement clandestin avec certitude.
La prise en charge de l’avortement nécessite souvent une réanimation médicale, une prise en charge psychologique (culpabilité, dépression) et une prise en charge des complications et séquelles (infertilité consécutive).
Le personnel de santé peut être :
-          Amené à réaliser une interruption thérapeutique de grossesse (acte autorisé mais peu connu, peu usité) ;
-          Confronté au dilemme de la dénonciation de la patiente ayant avorté clandestinement ;
-          Tenté à une offre d’avortement médicalisé dans un contexte d’illégalité réelle (au Sénégal, il existe très peu d’études sur l’implication du personnel de santé dans les avortements clandestins).
Les attitudes du personnel de santé varient devant ces trois cas de figures :
-          Sympathie, conseils et orientation de la patiente devant subir une interruption thérapeutique de grossesse ;
-          « fermer les yeux » et ne pas dénoncer la patiente ayant subi un avortement clandestin ;
-          Appât du gain pouvant les amener à être auteur d’un avortement médicalisé illégal.
Toujours est-il que le personnel de santé, face aux convictions socio-culturelles et religieuses est souvent confronté au dilemme de devoir sauver et à la sagesse d’obéir à la loi.
Actuellement, devant un cas de grossesse non désirée, la conduite à tenir par le personnel médical consiste à diagnostiquer la grossesse, en déterminer l’âge, rappeler à la patiente les risques encourus par l’avortement et proposer un suivi prénatal gratuit.
Trois questions doivent être traitées pour légaliser l’avortement médicalisé :
-          Pour qui : les victimes de viols et d’incestes suivis de grossesse et celles encourant des risques pour leur santé physique ou mentale en cas de poursuite de la grossesse ;
-          Quand : entre 0 et 120 jours ;
-          Où : dans des centres spécialisés ou plutôt dans des services intégrés dans les unités de santé de la reproduction.

Sixième communication : religions et interruption de grossesse par Mme Aida Ndoye du Réseau Siggil Jigen (RSJ)
Cette communication était en fait un compte rendu des visites de courtoisie effectuées auprès des familles et autorités religieuses pour les sensibiliser sur l’avortement médicalisé. Ces visites ont permis à la task force d’obtenir l’aval de ces familles et autorités religieuses pour participer à l’élaboration de l’argumentaire religieux.

Les discussions après la deuxième série de trois communications ont porté sur la nécessité :
-       d’agir aussi en amont pour prévenir les cas de viols (exemple : en assurant aux jeunes filles dans les lycées des cours de self défense) ;
-          d’assurer une éducation sexuelle aux jeunes pour qu’ils aient un comportement responsable et évitent les grossesses non désirées ;
-          d’alourdir les peines prévues contre les violeurs et auteurs d’incestes ;
-   de respecter le droit à l’information des populations et de ne pas faire de l’avortement médicalisé un sujet tabou.

Septième communication = « un défi de santé publique : l’avortement à risque au Sénégal », traitée par Mme Adama Sanokho
Les avortements à risque constituent 50% des motifs d’admission en urgence. Leurs coûts varient de 15000 à 500000 F CFA selon :
-          l’âge de la grossesse : plus elle est avancée, plus le coût est élevé ;
-          le statut de l’auteur de la grossesse : marié ou célibataire ;
-          le lieu où s’effectuera l’acte : clinique ou cabinet ;
-          le pratiquant : plus il est qualifié, plus le coût est élevé.
Le rapport coût- efficacité dans la gestion des soins est lié :
-          au traitement des complications de l’avortement provoqué fait dans de mauvaises conditions,
-          à la fourniture des soins d’urgence et
-          à la formation complémentaire du personnel pour maintenir un niveau de compétence le plus élevé.
Les stratégies pour lutter contre les avortements à risque sont entre autres :
-          la sensibilisation continue, le renforcement de la communication entre parent et enfant sur l’éducation sexuelle (abstinence),
-          la promotion de la planification familiale particulièrement des préservatifs pour les personnes sexuellement actives, la promotion de la santé de la reproduction des adolescents et des jeunes,
-          la mise à contribution des autres secteurs du développement.
Il faut prévenir les avortements à risque et leur lot de complications au niveau :
-          communautaire par l’éducation sexuelle des filles et une bonne communication entre parent et enfant
-          des prestataires par la prévention des grossesses non désirées (counseling abstinence ou contraception) et l’amélioration de la qualité de l’accueil surtout des adolescents
-          de l’Etat par :
o   l’accessibilité et la disponibilité des soins de santé sexuelle et reproductive à l’échelle nationale,
o   la généralisation de l’éducation à la vie familiale dans les écoles,
o   la révision des textes de loi nationaux relatifs à l’avortement et la lutte contre la pauvreté.


Le projet de loi de la task force a ensuite été présenté puis discuté et des propositions d’amélioration du plan d’action de la task force, des recommandations et les prochaines étapes ont été formulées. (cf rapport AJS)

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